Mathurin Méheut (1882-1958), Le Cirque. Caséine sur toile – 1929
- 88 ; l. 137 cm, Collection particulière © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022
MATHURIN MÉHEUT
ARPENTEUR DE LA BRETAGNE Au Musée de Pont-Aven du 25 juin au 31 décembre 2022
Artiste majeur du XXe siècle en Bretagne, Mathurin Méheut (1882-1958) a tracé une voie artistique personnelle et originale tout au long de sa vie. De son fulgurant coup de crayon, il nous immerge au cœur de la société bretonne travailleuse et pieuse de la première moitié du XXe siècle. La quantité d’œuvres produites et la diversité des techniques expérimentées font de lui un artiste prolifique et inclassable. Cette exposition propose de (re)découvrir cet artiste amoureux de la Bretagne à travers des œuvres emblématiques et inédites provenant de collections publiques et privées.
Mathurin Méheut (1882-1958), Fendeur d’ardoises dans la Montagne Noire Crayon gras noir et gouache, H. 42 ; l. 59 cm, Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor © Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor / ADAGP, Paris 2022 Cette exposition participe à « L’été Méheut en Bretagne » avec l’ouverture du nouveau Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor en juin 2022.
Méheut : aux origines de sa popularité
La popularité actuelle de Mathurin Méheut tient aux nombreuses expositions et publications qui lui ont été consacrées depuis sa mort. Mais dès l’entre-deux-guerres, sa notoriété s’établit grâce au succès des livres et articles de revues dont il avait assuré l’illustration : d’une part, de grands recueils illustrés de planches naturalistes, consacrés à la faune et à la flore, à la mer ou à la forêt et d’autre part, une trentaine de romans, d’essais ou d’ouvrages en rapport avec la Bretagne. Né à Lamballe, formé aux Beaux-Arts de Rennes, puis à Paris à l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs, le Haut-Breton se voit confier en 1910 Étude de la mer. Flore et faune de la Manche et de l’Océan qui occasionne un séjour de deux années à Roscoff.
Lors de sa première grande exposition en 1913 au pavillon de Marsan (musée des Arts décoratifs, à Paris), il manifeste des ambitions et des qualités de décorateur qui lui valent par la suite d’importantes commandes pour des édifices privés et publics, de Paris à Rennes en passant par Pittsburgh, et pour une trentaine de navires pour lesquels il peint plus de cent panneaux. Mais cette première présentation parisienne de son œuvre comporte à la fois un bilan de son travail de dessinateur naturaliste effectué pour la Librairie centrale des Beaux-Arts, éditrice des Études d’animaux (1911) comme d’ Étude de la mer (1913), et de ses recherches personnelles regroupées sous les intitulés « Études de scènes et de types bretons » ou encore « Vieux métiers bretons » : cent trente œuvres résultant du séjour roscovite et d’un début d’exploration du Finistère ayant pour sujet la Bretagne.
Méheut, expérimentateur prolifique
La première guerre mondiale révèle « l’artiste combattant » et écourte le voyage autour du monde (Hawaï, Japon) facilité par une bourse du mécène Albert Kahn, mais éloigne Méheut de son terroir natal durant six années terribles. Il lui faut renaître, se ressourcer. Il passe l’hiver 1919- 1920 en famille en Pays bigouden, prenant contact avec le faïencier de Quimper Joseph Henriot, expérimentant de nouvelles techniques comme la linogravure, découvrant des motifs inédits. Ce deuxième séjour finistérien initie la matrice de l’œuvre bretonne à venir. La seconde exposition parisienne de Méheut au pavillon de Marsan, en 1921, comporte à la fois une rétrospective des études naturalistes, des dessins de guerre, des œuvres issues des séjours à Hawaï et au Japon, et une présentation des travaux récents inspirés par la Bretagne : estampes, céramiques et plus d’une centaine de gouaches, de dessins aquarellés et d’ambitieux panneaux peints à la caséine. Elle inaugure trois décennies d’activité artistique débordante au cours desquelles il occupe une place centrale et singulière d’illustrateur de la Bretagne. Définitivement installé à Paris, il se fait construire une maison-atelier en 1924 et enseigne aux écoles Boulle et Estienne au lendemain de la Grande Guerre.
Il voyage au gré des commandes, aux États-Unis ou en Crète, en Sologne ou sur la Côte d’Azur, à La Ciotat ou dans la Sarre. Il effectue des séjours de plusieurs semaines ou quelques jours, en Bretagne, soit pour y travailler chez Henriot à Quimper, où sa fille Marguerite (1908-1992) s’établit, soit pour y engranger d’innombrables dessins, qu’il appelle ses « documents », en vue de travaux d’illustration, de décoration, de céramique, de gravure ou de sculpture. Cette quête est guidée, soit par les projets que lui confient des éditeurs (qui le conduisent à la pointe du Raz en 1923, en Brière en 1924, à Brest en 1928, à Ouessant en 1934, à Paimpol et Saint-Malo en 1935…), soit par une recherche systématique de sujets qu’il affectionne : l’animation des ports de Cornouaille, la foule des pardons, des foires et des marchés, les costumes des jours de fête et de la vie quotidienne, les gestes des artisans au travail… deviennent des objets d’enquête et parfois de reportage, dans une démarche oscillant entre la notation quasi ethnographique et la composition esthétique.
Mathurin Méheut (1882-1958), Cotriade et filets bleus [Concarneau] Caséine sur toile, H. 116 ; l. 174 cm, Collection particulière © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022 Méheut, arpenteur et témoin Par la formation reçue dans le domaine des arts décoratifs comme par sa pratique de dessinateur naturaliste, Mathurin Méheut s’est tenu à l’écart des courants de l’avant-garde artistique du début du siècle (cubisme, fauvisme, …). Prenant part aux grandes manifestations culturelles de l’entre deux-guerres à Paris (Exposition des Arts décoratifs en 1925, Exposition coloniale en 1931, Exposition des arts et techniques dans la vie moderne en 1937), il s’inscrit dans un mouvement de la modernité figurative qui ne cède jamais à la tentation de l’abstraction.
Peintre d’une réalité singulière, celle de sa région natale, il échappe tout autant à la banalité des recettes d’une peinture traditionaliste qu’il côtoie dans quelques Salons classiques. Ses compositions, d’une modernité mesurée, et sa touche, comme son trait, témoignent avant tout d’une recherche de l’efficacité du témoignage. Portant sur la diversité des activités et des situations un regard sans cesse émerveillé et curieux, Méheut capte en Bretagne les images d’un monde rural et littoral en pleine transformation. La conscience aiguë des mutations de la société qui l’a vu naître et son talent d’observateur font de lui le précieux témoin des travaux de la terre, des métiers de la mer et d’un artisanat déclinant, mais aussi des fêtes religieuses et profanes dont il tient la chronique sans tomber dans la « bretonnerie » qui, dans la première moitié du XXe siècle a pu prolonger les stéréotypes académiques du siècle précédent.
Méheut et son fulgurant coup de crayon Méheut se distingue de la plupart des artistes qui ont peint la Bretagne et peint en Bretagne au cours de la première moitié du XXe siècle, en ce qu’il est moins peintre que dessinateur. C’est l’efficacité de son fulgurant coup de crayon, allant à l’essentiel, qui est au cœur de sa démarche créatrice, qui se décline dans de multiples formes et techniques. L’exposition du Musée de Pont-Aven retrace le cheminement de l’artiste depuis sa vision naturaliste des débuts roscovites (faune et flore marine) à la singularité des silhouettes (l’éloge du geste), en passant par la qualité des paysages (presque toujours animés), l’âpreté des travaux de la terre et de la mer, l’animation des villes, des ports et des pardons, la diversité des guises et des modes vestimentaires. Mathurin Méheut (1882-1958), Brest 39 [Boum Daisy] Gouache sur papier – 1939 , H. 30 ; l. 40 cm, Musée Yvonne Jean-Haffen, Dinan © Musée Yvonne Jean-Haffen / ADAGP, Paris 2022 Mathurin Méheut (1882-1958), Femmes pagures ou Femmes bernard-l’ermite Gouache sur papier, H. 39,5 ; l. 27 cm, Collection particulière © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022
PARCOURS DE L’EXPOSITION
Mathurin Méheut, le plus populaire – en Bretagne – des artistes bretons, effectue toute sa carrière à Paris où il élit domicile dès 1902, à l’âge de vingt ans. Les deux grandes expositions qui le font accéder à la célébrité, en 1913 puis 1921, au musée des Arts décoratifs, résultent de séjours à Roscoff (1910-1912) puis à Penmarc’h (1919-1920). Méheut s’impose alors comme le peintre de la Bretagne, celle des activités rurales et maritimes, du labeur et des gestes de l’artisanat, mais aussi des fêtes religieuses et profanes. Auteur par ailleurs de décors aux sujets éclectiques pour les navires des compagnies maritimes, et de planches naturalistes célébrant le règne végétal, il nourrit une production foisonnante dans les domaines de la céramique et du livre illustré, nourrie de ses séjours répétés, chaque année, dans sa région natale. En effet, il arpente une Bretagne en pleine mutation, dont il observe la diversité naturelle et culturelle. Sa prédilection pour un Finistère aux paysages plus âpres et aux costumes chatoyants n’exclut pas des explorations qui le conduisent des marais salants de Guérande à la baie du Mont-Saint-Michel. De ses innombrables croquis réalisés avec virtuosité, il tire des compositions d’une modernité mesurée, qui donnent à son œuvre une dimension de témoignage. Avant tout peintre de la réalité, il s’autorise cependant quelques exceptionnelles incursions dans l’imaginaire. Cette exposition invite à (re)découvrir cet artiste prolifique et inclassable, amoureux de la Bretagne, à travers des œuvres emblématiques et inédites provenant de collections publiques et privées.
À ROSCOFF (1910-1912) : L’ÉTUDE DE LA MER
28 octobre 1913 : au musée des Arts décoratifs à Paris est inaugurée la première exposition personnelle de l’artiste, l’Exposition de la Mer dont le catalogue recense 427 œuvres. Simultanément paraît à la Librairie centrale des Beaux-Arts l’imposant ouvrage Étude de la mer. Faune et Flore de la Manche et de l’Océan qui comporte plusieurs centaines de compositions de Mathurin Méheut, dont 50 planches en couleurs. L’exposition comme le livre sont le fruit d’un séjour effectué de 1910 à 1912 à Roscoff, auprès des chercheurs du laboratoire de biologie marine et ont pour commanditaire Émile Lévy, l’éditeur de la revue Art et Décoration, à laquelle Méheut collabore depuis 1902. Né à Lamballe en 1882, fils d’un menuisier et d’une aubergiste, Méheut a gagné la capitale après un passage aux Beaux-Arts de Rennes et s’est révélé un talentueux dessinateur naturaliste qui excelle dans les Études d’animaux dont il publie cent planches dès 1911. Il part en famille à Roscoff en 1910 avec pour mission d’étudier le milieu marin, source potentielle d’interprétations décoratives. Il en rapporte des milliers de croquis, d’aquarelles, de gouaches.
À Roscoff, l’observation de la biodiversité marine constitue la matrice d’une production de décorateur, de sculpteur et de céramiste que Méheut développe tout au long de sa carrière, de Quimper à Sèvres. Des services de table déclinent le thème de la mer et d’audacieuses sculptures animalières mettent en scène les turbulences de la vie. En 1929, le magnifique ouvrage Regarde, accompagné d’un texte de Colette, invite le promeneur à découvrir les algues et les animaux qui peuplent les trous d’eau du rivage. 1910-1913 : PREMIERS REGARDS SUR LA BRETAGNE Dans l’exposition de 1913, 130 « études de scènes et de types bretons » ou de « vieux métiers » montrent combien Méheut porte attention aux activités quotidiennes ou saisonnières des femmes et des hommes, à leurs travaux, leurs costumes, leurs rituels et leurs fêtes. De Roscoff et de l’île de Batz, le terrain d’enquête s’élargit déjà au Pays bigouden. Sa première eau-forte figure trois femmes de Roscoff assistant au pardon du Pénity à la chapelle Sainte-Anne de l’île de Batz.
TRAVAUX DE LA TERRE, TRAVAUX DE LA MER
Le « peintre de la Bretagne » est célébré en avril 1921 par le romancier Charles Géniaux dans la revue Art et Décoration, à l’occasion de la seconde exposition de Méheut au musée des Arts décoratifs (avril-mai 1921) : « Cet artiste n’enjolive pas ses compatriotes. Il les représente dans leur vérité, qui est rude […]. Il s’attache surtout à nous présenter les foules bretonnes au travail, à la peine, à la joie. » Y sont présentés 513 croquis, dessins, aquarelles, peintures, sans compter les premiers essais de céramique présentés dans une vitrine. Cette rétrospective rassemble le regard du naturaliste (flore et faune terrestres et marines), le fruit du voyage de 1914 (Hawaï, Japon), le témoignage de l’artiste combattant (1914-1919) et 130 œuvres, parfois ambitieuses, inspirées par une société rurale et côtière bretonne observée durant un séjour en Pays bigouden (1919-1920), que celui-ci ne va cesser d’illustrer. Travaux de la terre, métiers de la mer, animation des bourgs et des ports captivent le dessinateur.
FACE À LA NATURE
Pour Mathurin Méheut, le paysage est généralement animé. Il est le décor des activités humaines qui le façonne. Ses grandes compositions, scènes de labour, de récolte des pommes de terre ou du goémon, vues de ports ou de canots sardiniers en mer, sont centrées sur les figures et les gestes des paysans et des marins-pêcheurs. En quelques rares occasions, il contemple la nature pour elle-même : côtes rocheuses, déferlement de vagues, reflets irisés d’un œillet de marais salant. Mais il est rare qu’un indice ou une silhouette ne trahisse la présence humaine.
Durant son séjour à Roscoff au début du siècle, Mathurin Méheut découvre les îles de Batz et Sieck. Plus tard, afin d’illustrer les ouvrages d’Anatole Le Braz (Le Gardien du feu, 1900) ou d’André Savignon (Filles de la pluie, scènes de la vie ouessantine, 1912), il arpente Sein et Ouessant. Dans le Morbihan, il explore Gavrinis et la presqu’île de Saint-Cado. Conservatoires des modes de vie traditionnels et d’une nature encore préservée, les Îles de l’Armor sont revisitées pour un dernier livre portant ce titre, publié en 1951 aux éditions des Horizons de France.
AU PAYS DES PARDONS
Les pardons, tout comme les foires et les marchés, rythment le calendrier d’une société préindustrielle et non encore urbanisée. Au cours d’un demi-siècle de pérégrinations, Méheut parcourt avec ferveur et curiosité ces assemblées, attentif aux rituels et aux expressions d’une foi qu’il partage. Il fréquente assidûment, parfois de façon répétée au fil des années, sanctuaires et processions en Cornouaille et Léon, dans le pays vannetais, dans le Trégor, mais également dans sa Haute-Bretagne natale. Entraînant parfois sa complice Yvonne Jean-Haffen dans ses excursions, il collectionne les visions singulières de ces rassemblements dans lesquels il admire le déploiement des singularités locales et en particulier la magnificence des costumes de fête.
La Première Guerre mondiale avait révélé « un artiste combattant » dont les émouvants dessins aquarellés effectués sur le front qui émaillaient sa correspondance avaient été largement diffusés. Cet art de témoigner ne l’a jamais quitté, en particulier dans les « lettres ornées » adressées à Yvonne Jean-Haffen à partir de 1926. De 1939 à 1945, il retrouve en Bretagne – durant la « drôle de guerre » à Brest, pendant l’Occupation à Quimper et à Rennes, puis à la Libération à Saint-Malo – le regard du témoin engagé.
Peintre réaliste des activités et mœurs des Bretons, Méheut s’aventure rarement dans l’imaginaire. À plusieurs occasions cependant, des sites qui lui sont familiers deviennent le décor de scènes mythiques. En 1919, il transpose dans le chenal de l’île de Batz une scène de la Bible célébrée depuis plusieurs siècles dans l’art européen, Jésus apaisant la tempête. Autour de 1930, il place dans les schistes de la grotte marine d’Estellen au large de Roscoff une série de variations sur le thème singulier des Femmes pagures. En 1948, il revisite pour un projet d’édition illustrée quelques-uns des récits et témoignages rassemblés par Anatole Le Braz dans la Légende de la mort initialement publiée en 1893, inscrivant ces puissantes expressions de l’imaginaire breton dans des pays et des paysages reconstitués avec soin.
Mathurin Méheut (1882-1958), Ouessant, côte nord-est
Gouache et fusain sur carton, H. 49 ; l. 64 cm
Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor © Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor / ADAGP, Paris 2022
Mathurin Méheut La Rogue ou Le Jeteur de Rogue Gravure sur linoléum – 1919 H. 31 ; l. 38,5 cm Musée départemental Breton, Quimper © Musée départemental breton, Serge Goarin / ADAGP, Paris 2022 Départ d’une pêche à la sardine. À l’arrière du canot, le pêcheur surveille le filet qui vient d’être mouillé, marqué par une ligne de flotteurs. Derrière lui, un baquet renferme la rogue (des œufs de morue pressés), qui va servir d’appât. Sur le ciel noir se distinguent les voiles de cinq autres chaloupes.
Jean Haffen, souvenirs inédits, p. 47]
Mathurin Méheut Paludiers un soir d’orage Caséine sur toile – 1929 H. 137 ; l. 153 cm Collection particulière 4 © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022 Au cœur des marais salants, un paysage animé et très composé, dont on connaît plusieurs variantes. En arrière-plan du personnage récoltant le gros sel dans l’oeillet, plusieurs paludiers et paludières cheminent parmi les mulons, tas de sel extrait d’un marais salant, portant leur lasse sur l’épaule.
Mathurin Méheut et Yvonne Jean-Haffen
Le Pardon de Notre-Dame-du-Haut à Trédaniel Gouache sur papier – 1953
- 50,1 ; l. 65,2 cm
Musée Mathurin Méheut – Lamballe-Armor © Musée Mathurin Méheut – Lamballe-Armor / ADAGP, Paris 2022 [Août 1957] « Ce fut un très beau pardon : messe en plein-air, procession dans la prairie avec une grande statue de la Vierge (…) Je rapportai beaucoup de bons croquis (…) de retour à Paris, ils me servirent à composer un tableau sur lequel Méheut, avec beaucoup d’émotion, fit des corrections et ajouta quelques touches inimitables. Ce tableau est maintenant au musée » [Yvonne Jean Haffen, souvenirs inédits, p. 145]
QUESTIONS AU COMMISSAIRE DENIS-MICHEL BOËLL
Denis-Michel Boëll, commissaire scientifique, s’est prêté au jeu des questions de Sophie Kervran, directrice du Musée de Pont-Aven
SK : Pourquoi Mathurin Méheut est-il un artiste inclassable ? DMB : C’est un artiste éclectique, qui s’est exprimé dans un large éventail de techniques et de matériaux relevant de courants et de traditions très variés. Prenons pour exemple son activité dans le domaine du livre : dessinateur « naturaliste » dans cinq recueils de planches, dont la fameuse Étude de la Mer, il restitue avec une scrupuleuse exactitude la nature sous toutes ses formes. Mais dans un ouvrage comme Vieux Métiers Bretons, c’est le dessinateur virtuose au coup de crayon rapide qui saisit dans l’instant les gestes et les attitudes de travailleurs de la terre, de la mer et de l’artisanat. Par ailleurs, il fait preuve d’une grande modernité dans les livres illustrés pour des clientèles de bibliophiles auxquels il participe entre les deux guerres. Trois registres pour un même artiste. Sa peinture ne se rattache à aucun courant, à aucune école, et il se tient à distance des différentes tendances de la modernité artistique de son temps. Farouchement indépendant, il refuse en 1924 de prendre la tête des Seiz Breur, mouvement engagé dans la rénovation artistique en Bretagne. Et bien qu’il soit nommé Peintre officiel de la Marine en 1921, il ne remplit aucune mission pour la Marine et n’embarque à bord d’aucun de ses navires.
SK : Quels sont ses liens avec la Bretagne ? DMB : Au-delà des origines familiales (naissance à Lamballe, études à Rennes) et plus tard de l’ancrage de sa fille Maryvonne qui s’installe à Quimper, il ne réside que brièvement en Bretagne, quelques semaines chaque année, à partir de 1921. Bien sûr, ses deux séjours à Roscoff en 1910- 1912 et à Penmarc’h en 1920-1921 auront joué un rôle déterminant dans sa carrière, mais dès 1902, il est un artiste parisien : il y a son domicile et son atelier et, s’il a rêvé d’une résidence secondaire dans son port de prédilection, Douarnenez, c’est à Cassis qu’il se fera construire une villa selon les souhaits de sa femme. Ses liens avec la Bretagne ont en outre deux composantes : – Un réseau de relations amicales, établies lors des deux séjours déjà évoqués ou à la suite de rencontres ultérieures : des familles amies à Roscoff, les Henriot à Quimper, Augustine L’Helgouach à Sainte-Anne-la-Palud, Marie-Anne Le Minor à Pont-l’Abbé, les Urvoy à Douarnenez, plus tard les Château et les Grall à Rennes.
Une place à part est constituée par sa relation avec Yvonne Jean Haffen et son mari, des relations parisiennes, mais qui acquièrent une résidence secondaire à Dinan, lieu qui va accueillir Méheut durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il enseigne à Rennes. – La Bretagne constitue une source essentielle d’inspiration et de « documents» pour celui qui devient « l’artiste de la Bretagne » à partir de 1921. Sil y revient si régulièrement, c’est à la fois par amour des paysages et enthousiasme pour la beauté des scènes qu’il peut « croquer », par exemple à l’occasion des pardons qu’il fréquente régulièrement, c’est pour prendre des notes, des croquis en vue de futures illustrations, créations céramiques, ou pour quelques commandes.
SK : Pour le néophyte, comment appréhender l’œuvre foisonnante de Mathurin Méheut ? DMB : Cette œuvre est d’un accès facile. Méheut est un dessinateur et un peintre figuratif, dont les sujets sont facilement identifiables. Il s’inscrit dans une tradition réaliste et sa « modernité » n’est pas déroutante : elle réside surtout dans ses points de vue, l’angle sous lequel il observe paysages et personnages, et dans son utilisation somme toute classique de la couleur. Deux ou trois décennies après le choc du fauvisme, et quarante ou cinquante ans après le Talisman de Sérusier qui a ouvert la voie à l’école de Pont-Aven et aux Nabis, Méheut coloriste fait preuve d’une audace mesurée. En rentrant peu à peu dans ses tableaux, on découvre qu’il a une palette bien à lui pour interpréter certains sujets ; les rochers couverts de lichens dans ses paysages littoraux, les tons singuliers de certains costumes de fête au Pays bigouden ou à Plougastel…
SK : À l’heure des préoccupations écologiques des sociétés contemporaines, comment le rapport de Méheut à la nature peut-il être compris ? Que nous enseigne cet artiste sur notre rapport au vivant ? DMB : Dans la première partie de sa carrière, Méheut consacre plusieurs albums de planches à dessiner les animaux, la flore et la faune marines, la forêt, les plantes exotiques : il se révèle alors un extraordinaire observateur du vivant sous toutes ses formes. Au contact des chercheurs du laboratoire de biologie marine de Roscoff, il découvre que poissons, crustacés, coquillages et plantes marines s’insèrent dans des écosystèmes, s’apparient, se nourrissent… Comme l’a montré le biologiste marin Michel Glémarec, il appréhende la biodiversité marine dans sa globalité. Quelques années plus tard, le soldat qui combat dans les tranchées de l’Argonne prises sous un déluge de feu prend conscience de la fragilité de la vie et du caractère précieux des plus intimes traces de la vie : il remarque les insectes, les champignons, les feuilles qui subsistent sur les arbres mitraillés. Après-guerre, il s’immergera dans la forêt avec la même curiosité, la même attention sensible aux aspects les plus infimes de la vie végétale. Pour attiser notre intérêt, il intitule « Regarde… » ce magnifique livre dont le texte est écrit par Colette, dans lequel il incite le lecteur à se pencher sur ce monde qui vit dans les trous et les flaques d’eau de mer que le baigneur n’aurait peut-être pas remarqué. C’est un artiste qui nous apprend à regarder la nature, à en pénétrer les secrets, à développer notre attention au vivant. Denis-Michel Boëll a été professeur à l’Ecole navale, au lycée de Tréguier.
Il participe à la naissance du Port-musée de Douarnenez dont il a été le premier conservateur, de 1986 à 1993. Il est ensuite inspecteur des musées de France et conseiller pour les musées martimes auprès de la Direc tion des musées de France au Ministère de la Culture (en 2003). Auteur de nombreux ouvrages, il a reçu en 2020 la mention spéciale du Jury du Prix du beau livre maritime de la ville de Concarneau pour «Les peintres officiels de la Marine». Denis-Michel Boëll a été Directeur adjoint du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) jusqu’en 2008. Il Il finit sa carrière comme conservateur général au Musée de la Marine où il fut à l’initiative de la grande exposition consacrée à Méheut en 2013.
MATHURIN MÉHEUT: ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES
1882 Naissance à Lamballe où son père est menuisier, sa mère, aubergiste. 1902 Après des études à Rennes, Mathurin Méheut s’installe à Paris. Il s’inscrit à l’école nationale des Arts décoratifs et suit parallèlement l’enseignement d’Eugène Grasset, théoricien de l’Art nouveau. Il collabore à la revue Art et Décoration. 1910-1912 Premier séjour au laboratoire de biologie marine de Roscoff : il y expérimente le dessin animalier. 1913 Exposition personnelle au musée des Arts décoratifs à Paris, Pavillon de Marsan. Mathurin Méheut obtient la bourse de voyage de la fondation Albert-Kahn. 1914 Voyage « autour du monde » avec sa femme au Japon et à Hawaï. Mathurin Méheut documente son carnet de route par de nombreux dessins et croquis réalisés sur le vif. Voyage interrompu par la Première Guerre mondiale. 1914-1919 Mathurin Méheut, « artiste combattant », est mobilisé et incorpore le 136e régiment d’infanterie, à Arras. Il sort très marqué par la guerre. 1919-1920 Séjour dans le Finistère. C’est le début de sa collaboration avec la faïencerie Henriot à Quimper. 1928 Il travaille à la manufacture de Sèvres. Exposition à la galerie Charpentier à Paris. 1937 Mathurin Méheut participe à l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, à Paris. Il décore le Pavillon de la Bretagne et celui de la marine marchande. Mathurin Méheut (1882-1958), Paludiers un soir d’orage Caséine sur toile – 1929, H. 137 ; l. 153 cm Collection particulière © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022 1939 L’artiste répond à la commande du carton de la tapisserie La Mer pour la manufacture des Gobelins. 1941 Il est nommé professeur à l’école des Beaux-Arts de Rennes où il enseigne pendant quatre années. 1942-1947 Il réalise des panneaux décoratifs pour l’Institut de géologie de Rennes puisant dans son répertoire de formes liées à la faune et la flore. 1944 Publication de Vieux métiers bretons de Florian Le Roy, illustré par Méheut. 1955 Exposition Images de mon pays et d’ailleurs à la galerie Bernheim-Jeune à Paris. 1958 Il décède à Paris le 22 février.
INFORMATIONS PRATIQUES
TARIFS D’ENTRÉE
Plein : 8€ / Réduit : 6€ / Groupes (+ 10 personnes, gratuit pour l’accompagnateur) : 5€ /personne TARIFS RÉDUITS – Sur présentation d’un justificatif, jeunes de 18-26 ans, étudiants, détenteurs du Passeport culturel (CD29), enseignants, CNAS, CEZAM, coffret cadeau Wonderbox, Les Amis du Louvre, Les Amis des Musées d’Orsay et de l’Orangerie, sur présentation d’un ticket valide de l’année du Fonds Hélène et Edouard Leclerc, du Musée de la Pêche à Concarneau et de la Fête des Fleurs d’ajonc le week-end de la fête à Pont-Aven. GRATUITÉ – Sur présentation d’un justificatif pour : les moins de 18 ans, les demandeurs d’emplois (avec justificatifs de – 6 mois), personnels du Ministère de la Culture, les journalistes, les conservateurs du patrimoine, les animateurs du patrimoine, les guides-interprètes, les guides conférenciers, les détenteurs de la carte ICOM (Conseil International des musées), les adhérents aux Amis du Musée de Pont-Aven et/ou du Musée de la Pêche à Concarneau, les personnes en situation de handicap et un accompagnateur (sur présentation d’un justificatif), les titulaires de la carte professionnelle « Bretagne Musées » et de droit pour un accompagnateur pour un groupe de plus de 10 personnes.
OFFRE TARIFAIRE / PARTENARIAT
– Sur présentation du ticket, une entrée plein tarif au Musée de Pont-Aven donne droit à une entrée à tarif réduit au Fonds Hélène & Édouard Leclerc à Landerneau et au Musée de la Pêche à Concarneau. Réduction valable l’année en cours. NOUVEAUTÉS : Billetterie en ligne et accès coupe-file pour les personnes en situation de handicap et les femmes enceintes. VENIR AU MUSÉE Renseignements sur tous les transports en commun depuis partout en Bretagne pour venir à Pont Aven : http://mobibreizh.bzh Aéroports de Lorient Lann Bihoué ou de Quimper Pluguffan (30 km), puis taxi, bus ou car jusqu’à Pont-Aven. www.lorient.aeroport.fr ou www.quimper.aeroport.fr = 1h de Paris Gares SNCF de Rosporden (14 km) et Quimperlé (19 km) puis taxi ou car jusqu’à Pont-Aven = 4 h de Paris Bus Coralie = www.coralie-cca.fr N 165 sortie Pont-Aven (6 km) = 5 h de Paris CONTACTS MUSÉE DE PONT-AVEN PLACE JULIA 29930 PONT-AVEN 02 98 06 14 43 www.museepontaven.fr