Kamel Mennour présente, pour la première fois en France, Judith et Holopherne, un tableau exceptionnel du Caravage – découvert dans un grenier toulousain en 2014 et authentifié par Éric Turquin, expert en tableaux anciens, en 2016* – en regard de l’oeuvre Pyramidal, haut-relief – A5, travail situé de Daniel Buren.

 

CARAVAGE,
Judith et Holopherne
DANIEL BUREN,
Pyramidal, Haut-Relief
– A5, Travail situé
6, rue du Pont de Lodi, Paris 6
18/04/2019 – 04/05/2019

 

La maison de ventes Marc Labarbe, en collaboration avec le cabinet d’expertise Turquin, vendra aux enchères le 27 juin 2019 à Toulouse, le tableau de Caravage (1571-1610), Judith et Holopherne, que le commissaire-priseur a retrouvé il y a cinq ans dans un grenier de la ville rose où il avait été oublié pendant probablement plus de 100 ans.
La redécouverte de Judith et Holopherne, un chef d’oeuvre depuis longtemps disparu de Caravage et recherché par tous, constitue un événement considérable et représente un apport décisif à la reconstruction de l’oeuvre d’un des
plus grands peintres de l’histoire.

Le tableau, réapparu dans un état de conservation exceptionnel pour une oeuvre datant de 1607, est bien documenté. D’autre part, l’attribution à Caravage a été soutenue par de nombreux experts de l’oeuvre du maître lombard, confirmée par plusieurs analyses scientifiques et confortée par le récent allégement du vernis.
Le tableau sera exposé à Londres, New York, Paris puis Toulouse avant sa mise aux enchères le 27 juin 2019.

Avant sa mise aux enchères le 27 juin 2019 sous le marteau du commissaire-priseur Marc Labarbe, le chef-d’oeuvre classique de ce maître incontesté du Baroque italien – génie tumultueux né à Milan en 1571 et mort à Porto Ercole en 1610, dont on ne connaissait jusque là que soixante-cinq toiles – entame donc un dialogue hypnotique et totalement inédit avec l’oeuvre résolument contemporaine de l’artiste français (né en 1938 à Boulogne-Billancourt). Un face-à-face saisissant, éclairé de façon magistrale par le concepteur lumière Madjid Hakimi, dans l’espace du 6 rue du Pont de Lodi.

Éric Turquin : Kamel, c’est une magnifique mise en perspective, la Judith et Holopherne du Caravage et le Pyramidal, haut-relief de Daniel Buren.

Kamel Mennour : C’est une des forces de la galerie que de créer ces rencontres entre des grands monstres de l’histoire de l’art… Kazimir Malevitch et François Morellet sur le thème du carré… Daniel Buren et Alberto Giacometti 1964-1966, un moment où les deux artistes étaient à la fois contemporains et aux antipodes en termes de création. Ici, le fossé est immense. Plus de 400 ans séparent les deux oeuvres.

Éric Turquin : 410 ans, oui, mais d’une certaine manière, la distance temporelle est abolie par la mise en situation ; avec Daniel Buren, toute exposition est une oeuvre en soi ; et puis, les deux artistes partagent cette même volonté d’affrontement avec la peinture de leur époque. Caravage a démoli le maniérisme qui étouffait Rome ; Poussin disait de lui qu’il était venu au monde pour détruire la peinture ! Pour Roger Fry, en 1905, Caravage est le premier artiste moderne, le premier à procéder non pas par évolution mais par révolution. Et Daniel Buren voulait, lui, abolir l’École de Paris qui saturait la place parisienne, il se voulait en rupture complète vis-à-vis de l’histoire de l’art.

Kamel Mennour : Il s’agit surtout d’oeuvres que tout oppose, c’est ça qui fait que le dispositif opère. Caravage raconte une histoire, il la théâtralise avec un rideau rouge et une composition serrée de trois personnages qui nouent l’action au coeur du tableau. Le haut-relief de Daniel ne raconte rien en soi, il est sec et strictement non pictural ; même si ses couleurs, le noir et le blanc sont très Caravage.

Éric Turquin : Noir, blanc et les miroirs aussi. Caravage utilisait un miroir,
nous le savons par un rapport de police datant de sa fuite de Rome en 1606 ; à cette époque, c’était très cher un miroir ; Daniel Buren nous dit que, pour lui, le miroir est un matériau intéressant, très stable et… peu cher ! Il démultiplie l’espace et ici, multiplie le tableau.

Kamel Mennour : Les miroirs du haut-relief de Daniel répètent le regard de Judith. Franchement, ce regard est insoutenable et qu’il se reflète dans le haut-relief referme sur nous le piège optique du dispositif. Nulle part pour
échapper à son regard et à son geste assassin.

Éric Turquin : Vous savez, le regard de Judith nous dit quelque chose de précis. Caravage est un artiste qui cherche
à incarner le Texte ; ici Judith, par son regard, nous révèle la lâcheté de ceux de Béthulie qui voulaient se rendre
aux Assyriens ; elle dit « Écoutez-moi bien… Je vais accomplir une action dont le souvenir se transmettra aux
enfants de notre race d’âge en âge » et encore « Par la ruse de mes lèvres, frappe l’esclave avec le chef et le chef
avec son serviteur. Brise leur arrogance par une main de femme » ; elle nous prend à témoin. Par l’interpellation
du regardeur, Caravage nous met en demeure de lire le Texte.

Kamel Mennour : C’est vous, Éric, qui m’avez montré cela ; que les ongles sales d’Holopherne, cette idée
d’opposition entre la main bronzée, tannée par le soleil et son corps blanc de militaire toujours protégé
par une armure ; ce sont des accroches pour rentrer dans le tableau et pour rappeler le Texte. Ce sont aussi
d’extraordinaires morceaux de peinture en eux-mêmes ; et les miroirs du haut-relief de Daniel Buren rejouent
cet effet de fragmentation et nous font voir ce qui nous aurait échappé. Pour Daniel, « le miroir est le troisième
oeil, il permet de voir ce qu’on ne voit pas de soi-même… » (Les Écrits, 2011)

Éric Turquin : Caravage, c’est cela et c’est la lumière aussi. Cette lumière verticale, puissante, dont la source est
cachée, dramatisant son clair-obscur surtout dans les dernières années, les plus originales, auxquelles appartient
notre oeuvre. Aujourd’hui, Madjid Hakimi a réalisé un travail magnifique d’éclairage en retrouvant cet esprit du
Caravage et en respectant l’oeuvre qui n’est pas évidente à éclairer.

Kamel Mennour : Daniel a retrouvé avec plaisir Madjid sur ce projet ; en 2014, Madjid avait fait les lumières de
Daphnis et Chloé chorégraphié par Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, et scénographié par Daniel Buren.
Avec ce puissant éclairage proche de la lumière naturelle plongeant dans une pièce obscure, Madjid recrée un
peu l’atelier du Caravage, non ?

Éric Turquin : Oui ; les historiens ont retrouvé des documents d’un litige entre Caravage et sa logeuse car, pour
obtenir cet effet d’éclairage, il avait percé le toit de son atelier ! En revanche, on ne sait pas s’il a vraiment utilisé
la technique de la « camera oscura » et la projection sur sa toile des figures qu’il peignait par un système de
lentilles et de miroirs ; c’est la thèse de David Hockney par exemple, c’est peut-être vrai mais c’est plus une
vision d’artiste que d’historien.

Kamel Mennour : Et puis, qu’une oeuvre située de Daniel Buren recrée un atelier, ce serait le comble venant de
lui qui crée in situ, au dehors de l’atelier absolument !

Éric Turquin : Du point de vue de l’histoire de l’art, ce qui est extraordinaire aussi, c’est qu’aujourd’hui Daniel
Buren retrouve une Judith et Holopherne. Il nous a rappelé qu’il avait exposé à la galerie Yvon Lambert en 1979 –
il y a donc quarante ans – avec le thème, « qui a vu Judith et Holopherne ? » ; un tableau d’Artemisia Gentileschi
qu’il avait réussi à voir dans le corridor Vasari des Offices à Florence, fermé au public. Mais à ce moment-là, il avait
travaillé autour d’un manque, le tableau n’était pas présent et même inaccessible. Dans notre cas, c’est l’inverse,
le tableau est présent, extrêmement présent même !

Kamel Mennour : L’ultra-présence du tableau est due à sa violence, aux solutions plastiques trouvées par
l’artiste… à la forte charge sexuelle contenue dans le tableau aussi, non ?

Éric Turquin : Caravage est un immense artiste, c’est pour cela qu’il suscite tant d’intérêt, d’interprétations,
d’analyses ; notre temps se retrouve en lui… Kamel, permettez-moi de vous remercier encore pour cette
invitation à le voir.

 

 

UNE DÉCOUVERTE formidable !

Maître Marc Labarbe commissaire-priseur à Toulouse, connu pour avoir découvert en 2011 un rouleau impérial chinois qu’il a adjugé 22 millions d’euros, soit l’enchère la plus importante au monde pour une peinture impériale chinoise, est appelé en 2014 par un de ses clients toulousains.

Ce dernier, en vidant un grenier, vient de découvrir un tableau inconnu de la famille. Marc Labarbe le détecte comme une oeuvre importante du XVIIe siècle italien.

Il en confie l’expertise à Eric Turquin, expert renommé en tableaux anciens, qui avec son équipe, va analyser le tableau pendant deux ans dans le plus grand secret. Tous les experts reconnaissent une oeuvre majeure.
Les études se poursuivent tandis que le ministère de la Culture français le classe Trésor National. Un statut qui bloque la sortie du territoire de l’oeuvre pendant trente mois. Le délai expiré, le tableau est libre de
circulation depuis décembre 2018 et a pu être restauré. Il sera proposé aux enchères le 27 juin 2019 à Toulouse.

La famille qui le possède est installée dans la région de Toulouse depuis des décennies et descend d’un officier napoléonien qui a fait la campagne d’Espagne de 1808 à 1814. Les héritiers ont déjà vendu un autre tableau
phare de l’époque du Siècle d’or espagnol il y a quarante ans. Quelques années avant la découverte, des cambrioleurs peu inspirés avaient dépouillé le même grenier d’un tas de menus objets mais le tableau,
dormant sous une soupente, leur avait échappé.
L’état de conservation, exceptionnel pour une peinture de quatre siècles tend à prouver que le tableau est passé entre peu de mains depuis son rentoilage autour de 1800.

By Art-Trends

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