3 février – 26 mai 2024
 
Le Musée de Pont-Aven est engagé depuis quelques années déjà dans une démarche de valorisation de la place des femmes dans l’histoire de l’art. Défini comme un «musée citoyen» dans le projet de territoire de Concarneau Cornouaille Agglomération (tutelle du musée), l’établissement met au cœur de ses actions la parité femmes/hommes, de la mise à disposition gratuite de protections hygiéniques à la formation des agents, en passant par une programmation axée sur les artistes femmes. Le Musée de la Pêche de Concarneau (2e musée de CCA) dédie aussi son année 2024 au rôle des femmes dans le monde halieutique.
Exposer Anna Boch au Musée de Pont-Aven, c’est donc poursuivre notre travail de réflexion autour de la place des femmes dans l’art. Après « Artistes voyageuses, l’appel des lointains » (plus de 60 000 visiteurs) – où était présenté le travail de Lucie Cousturier dont Anna Boch, elle-même voyageuse aguerrie, possédait deux œuvres – et avant «Femmes chez les Nabis.
 
 
De fil en aiguille » du 22 juin au 3 novembre 2024, la présentation consacrée à cette artiste belge constitue une nouvelle étape pour mieux comprendre, au prisme du genre, les mécanismes de pouvoir dans le champ de l’art, tels qu’étudiés par Sylvie Patry dans le catalogue de l’exposition: «En valorisant des pratiques  ou des principes artistiques accessibles aux artistes femmes, l’impressionnisme et les XX ont offert un terrain d’expression à visage découvert. Morisot, Cassatt et Boch n’ont pas eu à déployer de stratégie de contournement ou de dissimulation pour s’affirmer. Elles ont en quelque sorte recherché et obtenu une certaine indifférenciation de genre. Mais en inscrivant leur carrière dans ces « cercles de l’art neuf », elles ont chacune poursuivi une logique individualiste qui, à la fin du XIX e siècle, n’était accessible qu’à des femmes qui, comme elles, jouissaient d’un très fort capital culturel, familial et social.
 
Le Musée de Pont-Aven, en partenariat avec le Mu.ZEE d’Ostende (Belgique) rend donc hommage à Anna Boch (Saint-Vaast, Belgique, 1848- Ixelles, Belgique, 1936), 175 ans après sa naissance.
 
L’exposition dresse le portrait multiple d’une artiste, mélomane, collectionneuse, mécène, voyageuse et passionnée d’architecture à la personnalité dynamique et avide de découvertes. Anna Boch a en effet mené une vie très indépendante, un choix rendu possible grâce à ses origines sociales et à la bienveillance familiale. Seule femme à avoir adhéré aux cercles artistiques Les XX et La Libre
Esthétique, animés par son cousin Octave Maus, elle s’y est positionnée – fait rare pour l’époque – d’égale à égale avec ses confrères. Ensemble, ils se lancent dans l’aventure du néo-impressionnisme, alors incarné par Théo van Rysselberghe, Paul
Signac et Georges Seurat. Ses tableaux lumineux illustrent sa recherche du trait et de la couleur.
Sa passion de la nature l’a emmenée dans des coins reculés, rêvant de vivre dans une cabane, pour capter la beauté des paysages bucoliques. Amoureuse de la mer, elle a saisi la lumière et les reflets des côtes, notamment bretonnes, pour les transposer dans des compositions audacieuses. Anna Boch prend résolument toute sa place dans le post-impressionnisme des XIX  +et XX e siècles.
 
 
 
Le commissariat scientifique a été confié à Virginie Devillez, docteure en histoire, avec l’active participation du Dr Stefan Huygbaert, conservateur au Mu.ZEE et de Sophie Kervran, directrice du Musée de Pont-Aven. Plus de deux ans de recherches préliminaires ont été nécessaires pour réaliser cette exposition qui a accueilli plus de 90 000 visiteurs à Ostende.
 
Pour le Musée de Pont-Aven, c’est une véritable chance que de pouvoir s’associer avec le Mu.ZEE d’Ostende et de mettre en valeur une artiste femme qui a aimé représenter la Bretagne mais qui a aussi été mécène d’artistes de l’école de Pont-Aven. En effet, au salon des XX de 1889, parmi les six œuvres bretonnes de Gauguin, elle porte son choix, malgré le « ricanement de la foule », sur Conversation. Bretagne peint à Pont-Aven en 1888. Sans  doute les œuvres de Moret, Bernard qu’elle collectionne et qui ornent les murs de sa demeure l’ont convaincue de partir sur les traces de ces peintres, pour la première fois en 1901 en Finistère Sud.
 
Exposition co-organisée avec le Mu.Zee d’Ostende (Belgique)*
 
Retour de la pêche, une œuvre exceptionnelle d’Anna Boch présumée détruite, retrouvée suite à l’exposition du Mu.Zeed’Ostende, sera présentée en exclusivité à Pont-Aven 100 ans après sa dernière présentation
 
Cette œuvre exceptionnelle d’Anna Boch, tant par la taille, le sujet que la touche divisionniste, a été exposée pour la dernière fois en 1911 à Charleroi. L’on en connaissait deux huiles et un croquis préparatoires, une ébauche générale sur papier et une reproduction dans l’ouvrage de 1928 dédié par Paul Colin à Anna Boch. Cette œuvre était présumée détruite et vient de réapparaître durant l’exposition monographique du Musée d’Ostende, quand des visiteurs, propriétaires du tableau, se sont manifestés. De par son importance, cette redécouverte a étérajoutée in extremis dans la version bretonne de la manifestation.
 
Le 30 août 1891, alors qu’Anna Boch évoque son séjour à La Panne, cité balnéaire à la frontière de la France, dans une lettre à son frère  Eugène, elle écrit:«J’ai mis en train un tableau avec 4 pêcheurs». L’année suivante, cette nouvelle toile majeure est exposée aux XX à Bruxelles, à l’Association pour l’Art à Anvers, à La Haye avec le Haagsche Kunstkring et aux Indépendants à Paris, en mars 1892, où La Presse voit en elle une des « adeptes du pointillé » tandis que Le Matin note qu’Anna Boch « pointille aussi, mais avec moins d’intransigeance et de faroucherie que ses voisins ». Retour de la pêche, par les couleurs lumineuses et les coups de pinceaux entre le point et le trait, minutieux quant aux arbres et presque abstraits au niveau des pavés, compte parmi ses toilesles plus réussies, avec la présence de son mauve si caractéristique qu’elle utilise pour le rendu des ombresdes pêcheurs. Leurs grands paniers portés à même le dos rappellent ceux des pêcheurs de crevettes à cheval, typiques de la côte belge.
 
Parcours de l’exposition
LES DÉBUTS D’ANNA BOCH
 
Anna Boch grandit en Belgique dans un milieu privilégié (son père est le fondateur de la société de faïencerie Boch frères), ouvert à la musique et aux arts. Elle voyage fréquemment en famille dont chaque membre, muni d’un carnet à croquis, capte avec un succès variable les souvenirs de leurs excursions.
Durant les années 1870, elle suit divers cours de peinture donnés aux femmes, qui n’ont à l’époque pas accès à l’Académie ; elle bénéficie ainsi de l’assistance d’Euphrosine Beernaert. Les deux peintres ont en commun de ne pas hésiter à prendre contact avec des artistes dont le travail les interpelle et de tisser des liens avec ces créateurs, ce qui les distancie de la traditionnelle relation de maître à élève. À ses débuts, Anna Boch s’intéresse à la tendance la plus innovante de sa génération, incarnée alors par le pleinairisme.
 
 
ANNA BOCH ET LES XX
 
En 1874, Anna Boch décide de fréquenter l’atelier d’Isidore Verheyden qui travaille en plein air. Elle délaisse alors la nature morte et les scènes d’intérieur pour se tourner vers les paysages et les fleurs, des thèmes qu’elle privilégie toute sa vie. En 1885, elle rejoint le groupe des XX, un cercle artistique indépendant, désireux de promouvoir l’art moderne, fondé par son cousin Octave Maus. Elle est la seule femme à en être membre. Elle évolue désormais grâce aux contacts établis avec James Ensor, Jan Toorop, Dario de Regoyos, Guillaume Van Strydonck… La critique reconnaît enfin son talent et apprécie ses toiles pour la solidité de leur composition et l’harmonie de leurs couleurs, même si elle souligne qu’il s’en dégage « un talent  masculin ». Anna Boch adopte une attitude qui la met sur pied d’égalité avec ses confrères des XX et fait fide ces commentaires pour poursuivre son chemin d’artiste.
 
ANNA BOCH ET LE NÉO-IMPRESSIONNISME
 
En 1887, la découverte de l’œuvre pointilliste de Georges Seurat, Un dimanche après-midi à l’Île de la  Grande Jatte, exposée aux XX à Bruxelles, bouleverse Anna Boch. Mais très vite, elle dépasse ce style basé  sur la division scientifique des teintes en petites touches de couleurs pures et complémentaires. Son pinceau reste plus spontané et intuitif, marquant la toile de virgules. Lorsque Seurat meurt inopinément en 1891, les artistes du cercle des XX lui rendent un hommage posthume. Elle saisit l’occasion pour acquérir le tableau Bords de la Seine à l’Île de la Grande Jatte. En 1892, Van Rysselberghe réalise un portrait  pointilliste d’Anna Boch, preuve supplémentaire de son engagement dans ce style. Et pour compléter cet ensemble cohérent de sa collection, Anna Boch achète en 1907 Saint-Tropez. La Calanque de Paul Signac,  une œuvre majeure de l’autre chef de file du mouvement néo-impressionniste
 
ANNA BOCH, LA VOYAGEUSE
 
Anna Boch est une fervente voyageuse, à l’image des membres de sa famille pour qui le voyage fait partie de la vie.
Très tôt, elle découvre le Midi et la Suisse. Munie de ses pinceaux, mais aussi de son appareil photographique, elle se rend à maintes reprises en Italie, le pays incontournable du « Grand Tour ». S’ensuivent des voyages en Grèce, en Sicile, en Algérie, en Espagne, en France et de nombreux déplacements avec son frère Eugène. Ses voyages l’emmènent également aux Pays-Bas, à la côte belge ou dans le Brabant wallon, toujours avec l’idée de peindre, d’aller dans de petits hôtels, de bouger, d’évoluer… Femme moderne, elle s’offre même une Minerva en 1907, une automobile de marque belge, pour faciliter ses déplacements et planter son chevalet là où bon lui semble. Le mouvement, le voyage, comme une allégorie de la vie.
 
ANNA ET EUGÈNE BOCH EN BRETAGNE
 
Dès 1901, Anna Boch et son frère Eugène découvrent le sud de la Bretagne: le 1 er mai, ils sont à Châteaubriant puis partent pour Bénodet et Quimper. Elle en rapporte une série de dessins et cinq toiles toutes intitulées Côte de Bretagne sauf une: L’Odet à marée basse. Leurs dimensions exceptionnelles  témoignent de l’importance de cette série. L’écrivain Alfred Jarry affirme d’ailleurs que « Mademoiselle Anna  Boch rend avec sûreté l’émotion des côtes de Bretagne. » Du 1 er juillet au 5 août 1912, ils y retournent avec leur chauffeur Albert Lepreux et explorent le centre et le nord de la région: Dinan, Saint-Brieuc, Guingamp, Lannion, Trégastel, Perros-Guirec, Ploumanac’h, Tréguier, Morlaix, Roscoff jusqu’à Carhaix. Ses toiles diffèrent de celles de son premier séjour par leur sujet et leur cadrage resserré, comme en attestent Chaumière en  Bretagne et deux versions d’un même Torrent.
 
LES LIEUX DE VIE D’ANNA BOCH
 
L’œil attentif avec lequel Anna Boch saisit la réalité et construit sa collection se ressent aussi dans les intérieurs dans lesquels elle vit. Elle grandit dans le vaste château de La Closière et son jardin anglais, situé à côté de l’usine de céramique familiale, près de La Louvière (Belgique). Elle décore avec soin et minutie ses résidences secondaires de Middelkerke au bord de la mer du Nord et d’Ohain, près de Bruxelles. En 1895, elle confie à Victor Horta le soin d’aménager sa maison de l’avenue de la Toison d’Or à Saint-Gilles (quartier bruxellois) dans le style Art Nouveau. Au bout de six ans à peine, elle fait transférer l’intérieur, y compris la cheminée, dans une nouvelle maison à Ixelles (banlieue de Bruxelles) où elle intègre un orgue. Ses maisons font la part belle à sa collection et ses propres œuvres que l’on peut admirer lors de nombreux concerts qu’organise une Anna Boch, également chanteuse et virtuose du piano, de l’alto et de l’orgue.
 
ANNA ET EUGÈNE BOCH, UNE FRATRIE COLLECTIONNEUSE
 
Anna Boch s’intéresse très tôt aux artistes de l’école de Pont-Aven et en 1889, elle achète la toile Conversation en Bretagne exécutée par Paul  Gauguin à Pont-Aven en 1888, qui est alors exposée aux XX. Son frère Eugène (1855-1941), qui est très proche d’Émile Bernard, acquiert à son tour un lot d’œuvres de Gauguin l’année suivante. En 1888, il rencontre
Vincent van Gogh qui réalise aussitôt son portrait, se disant impressionné car il a « une sœur dans les vingtistes ». En 1890, les XX l’invite à exposer à Bruxelles. Anna Boch découvre enfin son travail et achète l’une des rares œuvres vendues par van Gogh de son vivant, La Vigne rouge à  Montmajour (conservée au musée Pouchkine, Moscou) : « J’ai offert  400 francs pour le tableau, cela fera bien dans un coin de salon ». En revanche, Anna Boch garde ses distances avec le travail de Maurice Denis dont son frère est pourtant un collectionneur avisé.

By Art-Trends

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